Jean-Marie – Le temps de l’unité

Chronique du temps covidien 5

“C’est le temps de l’unité, pas de la polémique”

C’est ce qu’a soufflé un conseiller de l’Elysée à un enquêteur de la cellule d’investigation de FranceInfo qui n’avait pas obtenu de réponse de la Présidence de la République questionnée sur la fermeture en 2018 de l’usine de production de masques par le groupe américain Honeywell.

Soit ! On peut entendre cette nécessité de se serrer les coudes en plus d’y éternuer. Une partie de notre anatomie fort sollicitée en ce moment et qui me donne envie d’en jouer encore un peu.

Mais prudence, il faut raison garder, ce à quoi nous invite un article du Canard Enchaîné de Jean-Michel Thénard sur la haine qui explose sur les réseaux sociaux et qui tendrait à imputer aux élites tout ce qui ne va pas en cette crise grave liée au Covid19, jusqu’à insulter post-mortem un ancien élu et ministre de la République. « C’est une vérité de la morale des hommes, les situations exceptionnelles font ressortir le pire, avec une intensité forcément plus grande encore qu’à l’accoutumée », nous dit la philosophe Cynthia Fleury dans son journal d’une confinée (Télérama) qui elle évoque le retour de la délation. Eh oui, certains braves gens se mettent à dénoncer leurs voisins de comportements inciviques durant le confinement. Sombres relents de l’Histoire !

Ne pratiquant pas les réseaux sociaux je ne peux, heureusement pour moi, ni ressentir ni même sentir ces déferlements nauséabonds. Mais nous ne pouvons absolument pas les confondre avec les enquêtes sérieuses et documentées menées par exemple par la cellule d’investigation de FranceInfo que je viens de citer ou par le site Médiapart qui titrait sa dernière enquête « Masques,  les preuves d’un mensonge d’Etat ». Sinon le temps de l’unité ne serait alors que le temps de l’endormissement des consciences, de l’étouffement de légitimes indignations que clamait et réclamait avec force le grand résistant Stéphane Hessel en 2010. (Indignez-vous!)

C’est cette idée aussi que défend la directrice de rédaction du magazine Marianne, Natacha Polony, dans un édito du 30 mars : « C’est la guerre, malheur à celui qui se pose des questions ! ». (voir sur ce lien : https://www.marianne.net/debattons/editos/c-est-la-guerre-malheur-celui-qui-se-pose-des-questions )

Et pourquoi donc ne serions-nous pas en droit de nous poser des questions ? Ou d’entendre et répercuter celles qu’on nous pose sérieusement, intelligemment, comme l’enquête de la cellule d’investigation de franceInfo citée plus haut, qui décrit un exemple concret de la responsabilité des différents gouvernants qui se sont succédés ces dernières années, jusqu’à aujourd’hui, dans la situation de pénurie lamentable de notre système de soins (voir sur ce lien: https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/enquete-franceinfo-comment-la-france-a-sacrifie-sa-principale-usine-de-masques-basee-en-bretagne_3896665.html).

Comment la France a sacrifié en 2018 sa principale usine de masques qui avait été racheté par Honeywell, qui l’a fermé pour s’installer en Tunisie !?

Comment la France a aussi sacrifié en 2019 sa seule usine en France fabriquant des bouteilles d’oxygène médical !? Usine rachetée à Péchiney par le britannique Luxfer en 2001 et liquidée l’année dernière !? Que d’ailleurs ses salariés seraient prêts aujourd’hui à remettre en ordre de marche pour éviter une nouvelle possible pénurie.

Et gouverner n’est-il pas prévoir?

Et Natacha Polony de poursuivre : « Et prévoir même l’imprévisible. C’est-à-dire préparer les instruments pour lutter contre une menace qu’on n’identifie pas encore. « Si tu veux la paix, prépare la guerre ». Et ce qui scandalise nombre de citoyens est l’impression que nous abordons cette supposée guerre totalement désarmés. Pas de respirateurs, pas de masques, pas de réactifs pour les tests. Et la seule usine de production de bouteilles d’oxygène fermée en 2019. La fatalité ? C’est ce qu’essaient de nous faire croire certains commentateurs. Alors que tout cela résulte des politiques mises en œuvres depuis vingt ou trente ans, avec l’assentiment de tout un système politico-médiatique. Emmanuel Macron ne fait qu’hériter d’une situation dont il est loin d’être le principal responsable – mais responsable tout de même, puisqu’il n’a eu de cesse de sanctifier et perpétuer ce système, d’abord en tant que conseiller puis ministre de l’Economie de François Hollande, ensuite comme candidat et président.

Seulement voilà, depuis vingt ans, on explique au peuple français que ceux qui alertent sur la folie de la désindustrialisation, ceux qui parlent de filières stratégiques à protéger, sont d’affreux nationalistes, des nostalgiques ringards à l’idéologie nauséabonde, des suppôts de l’extrême droite. Et visiblement, certains ont comme des aigreurs à reconnaître qu’ils se sont plantés. Alors, il faut à tout prix démontrer que ça n’a rien à voir ».

J’aime assez l’originalité et l’honnêteté intellectuelle de Natacha Polony sans être toujours en accord avec ses analyses, mais c’est le cas ici et ça méritait que je lui laisse le mot de la fin. Enfin presque, car j’aimerais juste rappeler que ma première chronique trouvait son origine dans des alertes et parfois des coups de gueules assez violents de médecins affrontant déjà les pires difficultés au moment du premier tour des municipales… si pâles. Elles n’étaient pas pour moi de stériles polémiques mais des indignations salutaires qui m’ont aidé à prendre conscience de la gravité de la situation. Je doute qu’un discours rassurant et consensuel eût le même effet.

Jean Marie


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